ANTOINE BAUZA

freelance game designer, writer, creative consultant

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7 Wonders : genèse (troisième partie)


Première partie

Deuxième version, premier prototype et première partie, avec mes fidèles acolytes playtesteurs. Tout le monde s’accorde à dire que ça semble très prometteur. Au niveau des mécanismes, il reste un problème évident que je n’avais pourtant pas anticipé : comme les mains de cartes des trois phases proviennent d’une même pioche, la distribution est très aléatoire et les enchainements de bâtiments (le scriptorium permet de construire la bibliothèque qui permet elle de construire l’université) sont très hypothétiques. La solution était évidente et je retournais illico à ma table de travail : dans la version suivante la pioche serait divisée en trois, chacune correspondante à l’une des trois phases de jeu. Ainsi l’enchaînement des bâtiments serait induit par les pioches. Je retrouvais en même temps les fameux âges propres aux jeux de civilisation, ce qui renforçait la dimension narrative. Impeccable !

À partir de ce moment, les règles était calées. A l’exception de la résolution des conflits militaires (j’y reviendrai plus tard), elles n’ont pratiquement pas bougées durant les centaines de parties de test qui ont suivi. Les réglages se sont portés sur les cartes elles-mêmes : au niveau des effets, des coûts, des combinaisons et de leur répartition en fonction du nombre de joueurs. De huit ressources, je suis passé à sept (le chiffre 7 commençait à s’inscrire un peu partout dans le jeu sans que je ne m’en rende compte : 7 joueurs, 7 ressources, 7 couleurs de cartes, 7 cartes en main…), ce qui permettrait à chaque cité d’en produire une différente en début de partie. J’ai également diversifié les bâtiments afin qu’ils ne soient présents qu’en nombre d’exemplaire minimum, afin qu’un joueur ne puisse pas se retrouver avec une main de cartes identiques et donc sans aucun choix. Dans les premiers prototypes, certains bâtiments étaient disponibles en 3 ou 4 exemplaires alors que dans le jeu final, la plupart sont disponibles en deux exemplaires, même dans la configuration de joueurs maximale.

Parenthèse

Des jeux de société, je commence à en avoir un certain nombre à mon actif. À l’heure où je rédige cet article, dix sont dans les boutiques et cinq autres devraient voir le jour d’ici la fin de l’année. Si on ajoute les prototypes en cours de travail et ceux qui n’ont pas trouvé d’éditeur, il commence à y avoir un certain nombre de boites de prototypes sur mes étagères. Tous ses prototypes ont débuté leurs tests auprès du même groupe de joueurs et de tous, 7 Wonders est sans aucun doute celui qui a remporté le plus facilement l’adhésion de toute la bande. Cet enthousiasme collégial était annonciateur d’un futur rayonnant pour le projet et lui a permis de grandir rapidement, les testeurs étant toujours partant pour tester les derniers modifications. Je profite de ces quelques lignes pour remercier, une fois de plus, cette bande de fidèles acolytes ludiques sans laquelle je n’aurai rien pu faire…

Plateau Merveille (v5.5)

Repos Production

C’est au mois de Septembre, à peine âgé d’un mois et demi, que le prototype a quitté mon cercle de testeurs pour aller se frotter à des regards neufs. C’était lors du Monde du Jeu, édition 2009 donc, à Paris. J’étais présent au côté de Repos Production pour présenter White Moon, l’extension de Ghost Stories qui allait sortir le mois suivant, à Essen. J’ai eu l’occasion de faire jouer, entre autres, Thomas Provoost après le salon, sur la table de cuisine que l’hôtel où la Repos Team logeait. Nous n’avons fait qu’une seule partie en raison de l’heure tardive mais la première chose que m’ait dite Thomas le lendemain matin (techniquement, ce n’était que trois ou quatre heures plus tard comme en témoignait ses yeux inquiétants), c’est « 7 Wonders, c’est vraiment bien ».

Je pensais pas que Repos Prod puisse être intéressé par le projet. Pour moi (et c’était le cas pour beaucoup de joueurs à l’époque et ça l’est certainement encore aujourd’hui pour une partie du public, Repos Production ne publiait pas ce genre de jeux). Thomas m’a demandé de leur remontrer le projet à Essen pour que son coéquipier à sombrero, Cédrick Caumont, puisse lui-aussi y jouer.

Je retrouvais donc l’équipe de Repos Production le mois suivant, à l’occasion du salon d’Essen et de la parution de White Moon. Après une première journée intense dans la ferveur ludique germanique, nous nous retrouvions au calme pour travailler. Cette fois, les deux responsables était à ma table et j’avais eu le temps d’améliorer grandement le prototype, tant sur le plan des réglages (les points de victoire des guildes étaient désormais calculés sur les cartes des cités voisines et plus sur les propres cartes du joueur) que sur celui de l’ergonomie (des bandeaux de couleur permettraient de superposer les cartes en conservant l’information importante visible). Cédrick Caumont fut immédiatement emballé… Pour l’anecdote, les parties #53 et #54 ont été jouées ce soir-là, sur la version 5.5.1 du prototype. En rentrant d’Essen, une proposition de contrat m’attendait dans ma boite aux lettres…

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7 Wonders : genèse (deuxième partie)

La première partie de cet article se trouve ici : 7 Wonders : genèse (première partie)

Proto sans issue !

Malheureusement, avant même que les fichiers de ce premier prototype soit prêts à faire la connaissance de ma fidèle imprimante, j’entrevoyais plusieurs problèmes :

  1. La simultanéité des actions allait poser un soucis lorsque plusieurs joueurs termineraient la construction de leur merveille lors du même tour, ce qui ne manquerait pas d’arriver étant donné que les merveilles n’étaient composées que de trois étapes. Des soucis similaires allaient survenir dans la gestion des personnages (Qui allait appliquer son effet le premier ?). Il faudrait ajouter un ordre sur les cartes, ce qui n’empêcherait pas deux joueurs assis côte-à-côte de jouer la même carte. Bref, je voyais déjà arriver les grosses rustines disgracieuses qui seraient irrémédiablement nécessaires au fonctionnement de l’ensemble…
  2. En réunissant le matériel, un second point me chiffonna : je disposais d’une importante quantité de ressources (au sens matériel du terme) uniquement destinées à mettre en jeu une Merveille composée de 3 malheureuses petites cartes ; un important déséquilibre entre les moyens et l’objectif. Ce point-là n’était pas forcément rédhibitoire mais il allait clairement nuire à la dimension narrative du jeu. On allait passer beaucoup de temps à manipuler des petits morceaux de bois et très peu à bâtir une splendeur architecturale !
  3. Avec le recul, j’identifie un troisième point qui m’a certainement freiné plus ou moins consciemment : le choix secret d’un personnage. C’est un mécanisme qui a été maintes fois exploité et qui n’a, au final, que très rarement remporté mon adhésion.

Tout ceci fait que je n’ai jamais achevé ce prototype et qu’il n’a donc jamais été testé. Ces considérations de design m’ont découragé. J’ai archivé le dossier sur mon ordinateur, laissé tomber le projet pour basculer sur un autre (C’était en Juin 2008, j’ai commencé à travailler sur White Moon à ce moment-là).

Le retour de la revanche !

Le projet 7 Wonders (il a toujours porté ce nom) est resté en sommeil pendant un peu plus d’une année, jusqu’à l’été suivant, précisément au début du mois d’Août 2009. C’est malheureux pour la rédaction de cette série d’articles mais je ne me rappelle plus d’où est venue l’idée qui a débloqué la situation et exhumé le projet. Il me semble que j’ai beaucoup joué à Through the Ages cet été-là et que le thème de la civilisation et des Merveilles est revenu se promener dans mon cerveau…

Ce qui est sûr, c’est que toutes les briques se sont mises en place très rapidement à partir de là. Les pièces en bois et les personnages ont disparu au profit d’une série de bâtiments. Désormais, les joueurs développeraient une cité et plus seulement une merveille. Voilà qui tordait le coup à deux des trois points susmentionnés : adieu les personnages et bonjour le ratio plus alléchant entre les moyens et l’objectif. Les ressources pour la construction sont matérialisées par une partie des bâtiments et permettent de construire les autres bâtiments et les merveilles, elles mêmes toujours divisées en trois étapes. Huit ressources étaient disponibles dans la deuxième version du prototype (4 matières premières, 4 produits manufacturés). Seul l’or restait matérialisé par des pièces en bois.

Plusieurs types de bâtiments se profilaient déjà :

  • Les bâtiments civils qui rapporteraient des points de victoire, purement et simplement.
  • Les bâtiments scientifiques qui rapporteraient des points (il n’y avait alors qu’un seul symbole scientifique et plus un joueur en cumulait, plus il marquait un nombre de points important) et qui permettraient de construire certain bâtiments gratuitement, progrès de la science oblige.
  • Les bâtiments commerciaux rapporteraient de l’or, lequel permettrait d’acheter des ressources à ses voisins, car l’interaction avec les cités voisines était bien sûr toujours d’actualité !
  • Les bâtiments militaires détermineraient les rapports de force, toujours avec les cités voisines à la fin de la partie. Les cités les plus fortes prendraient des points de victoire aux cités voisines plus faibles.
  • Les guildes rapporteraient potentiellement une grand nombre de points en fonction des bâtiments en possession du joueur (du joueur seulement dans cette deuxième version du prototype ; en effet, l’interaction avec les cités voisines est apparue un peu plus tard…)

Le mécanisme d’obtention de ces cartes s’est présenté après leur propre définition. Je voulais un mécanisme qui ne soit pas lié à une pioche (Race for the Galaxy était sur toutes les lèvres de joueur à cette époque !). C’est là que le draft a montré le bout de son nez : il collait parfaitement au seul mécanisme conservé depuis le début du projet : l’interaction avec les deux joueurs voisins. Dans 7 Wonders, les joueurs étaient liés à leurs deux voisins de table, il était naturel de pousser cette interaction gauche-droite jusque dans l’obtention des cartes. La partie s’est divisée en 3 phases afin que le volume des mains de cartes ne soient pas trop importantes et que le sens de rotation du draft change durant la partie.

La deuxième version du prototype avait pris forme : une pioche de cartes représentant des bâtiments. Trois phases de jeu. Des mains de 7 cartes et du draft. Des ressources et des combinaisons de bâtiments. Les merveilles prenaient la forme d’un petit plateau individuel ; les joueurs pourraient placer une carte pour construire une étape et ainsi ne pas la transmettre à son voisin.

Contrairement au premier design, je ne voyais pas de nuages à l’horizon. J’étais impatient de tester ça. Cette fois mon imprimante avait des fichiers à ingérer !

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