ANTOINE BAUZA

freelance game designer, writer, creative consultant

7 Wonders : genèse (cinquième partie)

Jamais sept sans huit !

Avouons-le, j’aurais aimé que cette emblématique septième version du jeu soit la dernière. Elle tournait bien. Très bien même. Mes proches réclamaient leur « dose » à chacune de nos sessions ludiques, un signe très révélateur et résolument encourageant ! Certains se sont même fabriqués leur propre exemplaire du prototype afin de propager la bonne parole.

Le temps des événements ludiques printaniers était arrivé. Première sortie publique de la saison : les belgo-ludiques, durant lesquels 7 Wonders eut l’honneur d’être le jeu de la soirée ouverture des rencontres. Je me suis retrouvé à expliquer les règles du jeu à 7 tables rondes, chacune accueillant 7 joueurs et un prototype. Un excellent souvenir même si expliquer des règles à une pleine salle de joueurs impatients (et indisciplinés) restent une tâche ardue… Peu de temps après, ce sont les tables du « off » du Festival international des jeux de Cannes que le prototype a hanté. Un grand nombre de parties ont été jouée durant ces quelques jours, chacun y allant de sa petite impression et/ou de sa petite idée.

Si j’ai participé à plusieurs de ces parties, j’ai également eu l’occasion d’être un « simple observateur » sur bon nombre d’autres. Avec l’expérience, je consacre beaucoup de temps à ces parties d’observation. Assister à une partie sans jouer change complètement la perspective. On ne remarque pas du tout les mêmes choses, on réalise que des points évidents deviennent retors quand on n’est plus là pour les expliciter. Et c’est lors de ces parties d’observation que deux tâches sombres sont venues obscurcir le design de cette septième version…

Ces deux points insatisfaisants ont été clairement mis en lumière par la soixante de parties jouées lors du Alan Moon Gathering of Friends, une convention américaine où se rendent régulièrement les deux lascars de Repos Production. J’ai étudié les retours des joueurs sur les forums de BoardGameGeek, bien chaud depuis la France : une nouvelle moisson de retours très encourageants mais également quelques critiques vis-à-vis des problèmes que je pensais avoir remarqué précédemment. Voilà qui confirmait donc mes craintes.

Ces différents retours, issus de publics différents dans des conditions différentes, convergeaient pour pointer du doigt deux problèmes :

  1. la gestion des conflits militaires
  2. le calcul des points en fin de partie

Jusqu’à la version 7, le militaire fonctionnait ainsi : durant la partie, les joueurs construisaient des bâtiments qui ont une puissance militaire, représentée par des icônes boucliers : les bâtiments de la première phase possédaient un seul bouclier, ceux de la deuxième phase possédaient deux boucliers et ceux de la troisième phase, trois boucliers. À la fin de la partie, chaque joueur comparait sa puissance militaire (c’est-à-dire la somme des boucliers présents sur ses bâtiments) à celles de ses deux voisins : si un joueur était plus fort que son voisin, il marquait autant de points que la différence en boucliers. S’il était plus faible, il perdait autant de points que la différence en boucliers. Ce système pouvait entraîner une grosse pénalité de points pour le joueur qui se trouvaient entre deux voisins belliqueux. Cette pénalité pouvait lui coûter la partie, ce qui ne me dérangeait pas outre mesure. En revanche, un joueur lancé dans une stratégie très militaire gagnait très difficilement tout en handicapant sévèrement ses voisins, les privant parfois de la victoire au profit d’un autre joueur (lui hors de portée de cet Alexandre le conquérant). Une sorte de king-making propre au système en « triangle » de 7 Wonders.

Le deuxième reproche concernait le calcul des points de victoire, à la fin de la partie. Pour calculer son score à 7 Wonders il faut additionner plusieurs types de points : ceux des bâtiments civils, ceux des bâtiments scientifiques, ceux de la merveille, ceux du trésor restant et parfois ceux des certains bâtiments commerciaux et guildes. Si on exclue le militaire il s’agit d’une addition, pas très complexe, dont le total dépasse rarement soixante. Rien de bien méchant. Après une première partie, la plupart des joueurs la faisait naturellement. Seulement le militaire obligeait à faire, en amont, une double différence entre son nombre de boucliers et ceux des joueurs voisins. Un calcul mental qui compliquait un peu la chose (souvent un joueur perdait le résultat de cette double-différence pendant qu’il effectuait son addition élémentaire).

Le point positif dans tout ça, c’est que les deux problèmes étaient liés. 7 Wonders est un jeu aux règles simples : il eut été regrettable que cette simplicité de jeu soit gâchée par un calcul de score alambiqué… Retour à la table de travail.

Eurêka !

Très rapidement, je suis arrivé à une solution. Voilà le document que j’ai envoyé chez Repos Production pour la leur expliquer :

Gestion des conflits militaires (v8.0)

L’énorme avantage de cette version, outre qu’elle simplifiait naturellement le calcul des points de victoire, c’est qu’elle permettait une plus grande richesse stratégique. Désormais, il était possible de dominer ses voisins lors de la première manche, de se faire passer devant lors de la deuxième et de reprendre la tête (ou pas !) lors de la troisième manche. Notez que, dans la première version de ce nouveau mécanisme, les boucliers rapporteraient chacun 1 point de victoire, un gain qui sera abandonné lors des parties de test qui suivirent…

J’étais convaincu par cette modification avant même le premier test. Voilà donc une huitième version du prototype dans les starting-blocks. Mon travail se situerait maintenant au niveau de la valeur des jetons et là, une bonne cinquantaine de nouvelles parties seraient la clé. De 2,4,7 points les victoires et -1, -2, -3 points les défaites, je suis arrivé à 1,3, 5 points les victoires et -1 pour toutes les défaites… La modification a bien sûr eu quelques retombées sur d’autres éléments du jeu : coûts et répartition des bâtiments militaires, guilde des stratèges.

posted by toinito in Game designJeu de société and have Comments (7)

7 Responses to “7 Wonders : genèse (cinquième partie)”

  1. Franz dit :

    Super ce feuilleton d’été :)
    C’est un sacré boulot de créer cette petite merveille .

  2. Tibor_Fr dit :

    Voilà une modification qui me plait.
    Car j’avoue que je trouvais la stratégie « militaire » trop limité par rapport aux autres… Puisqu’à part miracle, elle ne rapportait que peu de points et servait donc davantage à contrer ses voisins.
    Par contre, pour le coup, les points négatifs seront faibles en cas d’abandon du militaire (-6 au max). N’est-ce pas trop faible ? A moins que pénaliser davantage ne rende surpuissant cette stratégie vis-à-vis des autres ?

    Par contre, petite remarque en passant à propos de l’Ambassade : de souvenir, elle permettait « d’acheter » la différence militaire avec ses voisins pour ne pas perdre de points, un pouvoir qui n’a plus vraiment de raison d’être en l’état. A-t-elle pour le coup été revue ? Et si oui, quel est devenu son pouvoir ?

  3. Hebus dit :

    Toujours très intéressante cette lecture de la genèse. Comme quoi trouvé le juste équilibre demande beaucoup de temps et d’analyses

  4. Tibor_Fr dit :

    Oups… Toutes mes excuses, je suis tellement partie à fond dans le débat et les questions soulevés par cette 5e partie, que j’ai oublié de te remercier pour sa publication et tes explications toujours aussi claires !
    Bravo l’artiste ;)

  5. toinito dit :

    La valeur des défaites militaires à fait l’objet de longues discussions – et d’un paquet de parties ! – entre Repos et moi pour finalement arriver à ce résultat. 6 points de pénalité, ça fait grincer des dents sans forcément te priver la victoire, c’est essentiel. Mais la grosse nouveauté c’est que si tu ne te défends pas, tes voisins scorent sans investir beaucoup en militaire. Ca change complètement le feeling du militaire :)
    L’ambassade a disparu… Elle était une exception au milieu des bâtiments bleus (la seule à ne pas proposer un nombre de points de victoire fixe). Je n’en ai pas parlé dans la genèse mais on a essayé de rendre le jeu le plus fluide et le plus intuitif possible en lissant au maximum les petits effets et cas particuliers comme cette vieille ambassade…

  6. Tibor_Fr dit :

    Merci beaucoup pour ces précisions :)

  7. PhilippeKFDJ dit :

    Toujours aussi passionnante cette série d’articles.
    Comme souvent on se rend compte que c’est la phase de réglages qui semble la plus longue, et que rendre une mécanique simple et intuitive est loin d’être simple justement :)

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