ANTOINE BAUZA

freelance game designer, writer, creative consultant

Tokaido > Génèse

L’ancien Tokaido (24 Sept 2007 – 25 Nov 2008)

Comme pour la quasi totalité de mes jeux, Tokaido est né de son thème, lui même inspiré par une oeuvre célèbre, les 53 Relais du Tokaido du peintre japonais Hiroshige. Cette magnifique série d’Ukyo-e, ma préférée dans toute l’oeuvre du peintre, m’a évoqué un jeu de parcours dans lequel des artistes en quête d’inspiration entreprennent le pèlerinage entre Kyoto et Edo. Mon intention était de faire un jeu « zen », de proposer aux joueurs de voyager dans le Japon que j’aime tant tout en restant assis à leur table de jeu…

Dans la première version du prototype, 5 artistes devaient composer leurs oeuvres respectives (Peintures, Calligraphies, Musiques, Poèmes, Récits) en trouvant leur inspiration dans le voyage au coeur de Pays : Le Tokaido était alors composé de 5 sections, balisés par des Relais, chacune composée de 8 tuiles paysages (Vallée, Montagne, Littoral, Rizière).

Les 5 artistes n’étaient pas attribués aux joueurs mais déplacés collectivement par l’ensemble des joueurs (de 2 à 5) au moyen d’une mécanique de cartes.

Chaque carte figurait 2 personnages, disposés verticalement. A son tour, le joueur posait une carte issue de sa main avec une contrainte proche de celle des dominos. : l’un des Voyageurs représentés sur sa carte devait correspondre à celui représenté sur la dernière carte jouée. Les deux Voyageurs représentés étaient alors avancés de leur tuile actuelle vers la tuile suivante sur le parcours.

Quand un Voyageur était déplacé sur une tuile, le joueur pouvait prendre un cube de la couleur du paysage (le nombre de cubes disponibles sur chaque tuile étant limité). Si le voyageur déplacé était le dernier à quitter la dernière tuile du parcours, le joueur récupérait la tuile (à la façon de That’s Life !). Les cubes et les tuiles étaient ensuite utilisés pour composer une oeuvre, c’est-à-dire acheter des cartes rapportant des points de victoire à la fin du jeu. A la fin du voyage, le joueur ayant totalisé le plus de points sur les oeuvres réalisées remportait la partie.

 

Le jeu remplissait plusieurs des critères chers à mes yeux : simplicité des règles, durée de partie réduite, thème original et personnel. Mais c’était malheureusement très insuffisant !

L’immersion dans le thème ne me satisfait pas, elle. Le jeu était trop froid, mécanique. Les joueurs ne ressentaient guère ni le voyage ni le fait qu’ils composaient des oeuvres d’art tout au long de la partie. Après avoir tourné les mécanismes dans tous les sens (7 versions du prototype sur une année de playtest), le constat implacable était bel est bien là : le jeu était un échec ! Il s’en suit une longue période de mise au placard durant laquelle je travaillais sur d’autres projets…

Le nouveau Tokaido (16 Mars 2010 – Aujourd’hui)

Je n’ai pas souvenir du moment où Tokaido est revenu sur ma table de travail, ni quelle étincelle a ravivé les braises du prototype. Simplement, je remis un beau jour tout à plat ! Je voulais un jeu qui évoque la sensation de voyager, il me fallait introduire le Tokaido de manière plus concrète dans le gameplay. J’ai donc abandonné mon parcours modulaire au profit d’un plateau. Cela peut sembler anodin mais je n’aime pas les plateaux « statiques ». Le seul présent dans ma ludographie, c’est celui de Pony Express, un projet sur lequel m’a invité Bruno Faidutti et pour lequel le plateau était déjà bien en place à mon arrivée ! Je me consolais avec un petit artifice : mon plateau serait utilisable dans les deux sens de parcours, de Kyotô vers Edo ou de Edo vers Kyôto…

 

A partir de là, les 53 Relais historiques entre Edo et Kyoto sont devenus tout naturellement les 53 cases d’un parcours linéaire reliant les deux capitales nippones. La route demeura divisée en 5 sections, séparées par des Relais. Des 4 paysages initiaux, je n’en conservais que 3 (Montagne, Mer, Rizière). Ils devinrent des paysages fragmentés à collectionner. Les autres éléments de la thématique du voyage s’intégrèrent naturellement : rencontres, souvenirs et spécialités culinaires. Ajoutons à cela les sources chaudes et les temples, indissociables de la culture nipponne et mes voyageurs avaient largement de quoi s’occuper durant leur périple.

 

Dès le premier prototype et à l’issue de la première partie de test, je sus que j’avais retrouvé le bon chemin. Cette fois, le sentiment de voyage occupait aisément le devant de la scène, les règles étaient encore plus simples, le prototype avait cette petite fraîcheur printanière initialement recherchée. Yatta ! Les tests s’enchaînèrent paisiblement, chaque élément prenant tranquillement sa place, partie après partie, réglage après réglage… La route fut finalement re-divisée en 4 sections (contre les 5 initiales), la possibilité de jouer à 5 arriva en cours de développement, les capacités propres à chacun des 10 Voyageurs connurent maintes versions.

Par un heureux timing, le prototype atteint sa version stable au moment des inscriptions pour la trentième édition du concours international des créateurs de jeux de société de Boulogne-Billancourt. J’avais bon espoir que le jeu puisse convaincre le jury, avec son atmosphère que j’estimais si particulière. A cette époque, une seule chose ne me donnait encore pleine satisfaction, le jeu à 5, encore trop déficient. Que cela ne tienne, j’écartais le 5ème joueur de la version du prototype que j’envoyais au jury, me donnant le temps nécessaire pour travailler dessus… Tokaido fit mouche au concours, le jeu fut récompensé par le Jury en Octobre 2011.

A peu près au moment et au détour d’une virée parisienne, je présentais le prototype à Philippe Nourha, gérant des éditions Funforge. Le jeu lui plut immédiatement et, s’il prit le temps de faire quelques parties avec ses joueurs, il était conquis. Ses retours de tests amenèrent l’introduction des cartes Accomplissement, cerises sur le gâteau de la mécanique de collection au coeur du jeu.

Le contrat fut signé rapidement. Ma première collaboration avec Funforge (Pony Express) m’avait donné pleine satisfaction. La qualité artistique du travail du petit éditeur parisien n’est aujourd’hui plus à démontrer. Tokaido devait impérativement être un jeu magnifique, c’est un projet qui devait être porté par la qualité de son matériel et de son travail d’illustration. Les visuels sont aujourd’hui disponibles sur la toile. Je laisse le lecteur décider si j’ai fait ou non le bon choix :o)

posted by toinito in Game designJeu de société and have Comments (3)

3 Responses to “Tokaido > Génèse”

  1. Puyette dit :

    Ce jeu est très attendu par chez nous, et cet article nous donne encore plus envie de l’avoir ! Le travail de Funforge avec le votre et celui de Naïade est fabuleux ! Merci pour toute cette histoire très intéressante !

  2. Stephane dit :

    Merci ce voyage à travers la création de Tokaido.
    J’avoue que depuis les premières informations, ce jeu m’intrigue.
    Je viens de voir la TTTV et je suis plutôt séduit (j’espère qu’il plaira à ma fille).
    Je m’était posé la question du développement d’un jeu sans vraiment prendre le temps de creuser et ce texte sur la génèse me permet de mieux voir les errances qui mène au produit final.
    Hâte de le tester celui là :D

  3. Robert dit :

    HANABI et le jeu favori de ma fille et nous attendons la sortie de TOKAIDO avec impatience pour l´acheter. Je suis espagnol (excusez mes fautes d´ortographie), j´ai un blog sur les jeux et voudrais faire un article-presentation dans mon blog et a BSK, le forum espagnol sur les jeux de table. Merçi pour vos creations.

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